Surprise et indignation dans l’opinion publique congolaise. Alors que le bureau de l’Assemblée nationale avait solennellement, la veille, annoncé l’interpellation du ministre des Transports, à la suite du dernier crash d’avion sur Kinshasa, c’est une ordonnance présidentielle qui survient, à 10 minutes du début de la séance parlementaire, pour mettre brutalement fin au mandat de Remy Henry Kuseyo Gatanga. Pour les observateurs, c’est une fuite en avant, qui empêche de connaître à jamais les dessous d’une affaire qui, une fois de plus, endeuille la communauté nationale.
Surprise générale, vendredi à la mi-journée, dans les salons et rues de Kinshasa. Et pour cause. Le ministre des Transports, Remy Henry Kuseyo, a été démis de ses fonctions par l’ordonnance n° 07/067 du 5 octobre 2007 lue sur les ondes de la télévision publique par le porte-parole du président de la République. Et ce, à 10 minutes de l’heure à laquelle les députés l’attendaient de pied ferme pour une séance d’explication.
L’ordonnance serait la suite logique du message de condoléances du chef de l’Etat aux familles des victimes, quelques heures après l’accident. En outre, Kabila demandait au gouvernement «d’en tirer toutes les conséquences» pour susciter un élan de solidarité collective, en mémoire de la quarantaine de victimes, directes et collatérales, mortes de suites de la chute de l’Antonov 26 d’El Sam Airlift ayant crashé à Kimbaseke, un quartier populaire de la banlieue kinoise. Toutefois, cette ordonnance a provoqué indignation et suspicion.
Jeudi, jour du crash, le bureau de l’Assemblée nationale s’était déplacé jusqu’au lieu du sinistre, en compagnie des députés provinciaux de Kinshasa. A cette occasion, le 1er vice-président de la chambre basse avait publiquement rassuré la population, par la voie des médias, que son institution se saisirait sans délai du dossier, afin de «sanctionner les coupables».
Christophe Lutundula avait justifié cette détermination, non sans émotion, en ces termes : «puisque le gouvernement avait décidé l’interdiction de vol aux appareils Antonov, nous allons diligenter une enquête pour savoir qui a autorisé cet avion de voler. Et les coupables seront sévèrement sanctionnés».
Vendredi, 12h50, coup de théâtre ! Pendant que l’Assemblée nationale attendait l’arrivée du ministre des Transports et voies de communication pour se faire expliquer ce qui s’était passé, et pourquoi l’on n’a pas pu éviter cette énième catastrophe, c’est une ordonnance présidentielle qui va surprendre. Le ministre R.H. Kuseyo Gatanga est révoqué du gouvernement.
LA SÉANCE ETAIT LOIN DE LA SERÉNITÉ
L’ordonnance de révocation charge lourdement l’ancien titulaire des Transports. Il est accusé, d’une part, «d’incapacité à mettre en œuvre des mesures efficaces tendant à assainir l’espace aérien congolais de manière à réduire la fréquence et la gravité des accidents d’avion». Et d’avoir, d’autre part, causé «le retard dans la mise en place de l’Autorité de l’Aviation civile créée par décret n° 049-B/2003 du 30 mars 2003». D’où lui est imputée «la situation catastrophique résultant de cette négligence coupable».
N’empêche que les députés se sont réunis régulièrement vendredi. De leurs débats préliminaires, le public n’y a vu que du feu. Défendant leurs chapelles respectives, ils ont frustré le public. Les uns exigeaient l’interpellation du ministre d’Etat près la présidence de la République, Me Nkulu M. Kilombo. Car c’est lui qui a demandé au ministre des Transports, en date du 12 septembre 2007, «de rapporter les mesures… portant suspension de vol de tous les avions de type Antonov». La séance, il faut en convenir, était loin de la sérénité.
Kuseyo parti, les députés se sont accordé 48 heures pour adresser une question orale au gouvernement qui, pour l’occasion, se ferait représenter par n’importe lequel de ses 60 membres ! L’opinion note, cependant, que le partant n’a pas été entendu. Il n’a pas été non plus invité à présenter ses moyens de défense, comme le préconisent pourtant les mécanismes de fonctionnement d’un Etat de droit.
Le dernier crash de Kingasani inspire la colère. La rue fustige la énième tentative gouvernementale de dissimulation. Globalement, les analystes de la politique congolaise jugent de «fuite en avant» cette révocation. La question demeure cependant d’actualité car le gouvernement devra répondre dans quarante huit heures à la question orale devant l’Assemblée nationale.
Certes, «l’accusé principal», c’est-à-dire, l’ex-ministre Kuseyo, ne sera pas présent dans la salle. Mais la responsabilité du gouvernement demeure totale.
Assemblée nationale : les députés veulent écouter le gouvernement
Prévue pour 10h00 puis repoussée à 13h00, la plénière du vendredi 5 octobre 2007 a commencé aux environs de 14h20. Elle a connu un seul point à son ordre du jour. Il s’agit du crash d’avion survenu jeudi 4 octobre 2007 à Kingasani dans la commune de Kimbaseke (est de Kinshasa).
Le député Lucien Mbusa, vu la gravité de ce dernier accident qui a une fois de plus endeuillé Kinshasa, a adressé une question orale avec débat au ministre des Transports afin qu’il vienne éclairer la lanterne des députés. Curieusement, dans la matinée d’hier, le ministre attendu a été révoqué.
Face à l’embarras de la situation, le premier vice-président de l’Assemblée nationale, Christophe Lutundula qui avait la police des débats au cours de la plénière, a fait savoir que les événements dont question étaient graves. C’est une tragédie, a-t-il déploré. Avant d’indiquer que le ciel congolais est encombré de cercueils volants. Le bureau de l’Assemblée nationale a estimé de son devoir de prendre ses responsabilités. C’est dans ce contexte que la question orale du député Lucien Mbusa a été inscrite à l’ordre du jour.
La plénière a été émaillée de beaucoup de motions. Premier à prendre la parole, le député Bofasa Djema. Il a cru comprendre que le bureau ouvrait un débat relatif à la question d’actualité à l’issue duquel le Gouvernement viendrait s’expliquer.
La deuxième procédure est du député Nkulu Mwenze. Ce dernier rappelle l’article 154 du Règlement intérieur. Ce dispositif stipule que le député dépose sa question orale au bureau de l’Assemblée nationale qui, après avoir vérifié la recevabilité, la transmet à qui de droit dans le délai de sept jours. Cette motion a suscité des remous dans la salle.
Réagissant à la motion du député Nkulu, le député Faustin Kambala a convié ses collègues à ne pas traiter cette question avec passion ni sentiment compte tenu de son importance. La question orale a pour objet de donner l’information aux députés. Que le ministre des Transports soit révoqué, le Gouvernement est en droit de désigner un autre ministre qui soit en mesure de répondre devant l’Assemblée nationale.
SOLIDARITÉ GOUVERNEMENTALE
A son tour, le député Mboso Nkodia Mpwanga a indiqué qu’on se trouve dans un cas de flagrance et d’urgence au regard de nombreux accidents d’Antonov qui se sont produits. Il en a appelé au principe de la solidarité gouvernementale. C’est-à-dire qu’on ne se contente pas de la révocation d’un ministre. La gravité des faits interpelle les élus du peuple.
C’est ici que le député Lisanga Bonganga a demandé au bureau de la chambre basse du Parlement de convoquer le ministre d’Etat près la présidence de la République pour venir éclairer la lanterne des députés. C’est lui qui a écrit à son collègue des Transport, l’invitant à lever les mesures interdisant aux Antonov d’opérer le trafic aérien. Vu la délicatesse du problème, le député Nkulu Mwenze a invité les députés à dépassionner le débat et à respecter les textes de manière à éviter le dérapage.
Pour Katanga Mukumadi, lorsqu’on révoque un ministre, automatiquement on désigne celui qui doit assumer l’intérim. Il a jugé le débat engagé «sans objet». Il y a eu trop de crashes et de morts ; on ne doit pas se trouver devant un mur des lamentations, a-t-il martelé.
François Mwamba a déploré l’absence du Gouvernement du fait que le premier ministre Antoine Gizenga a reçu en copie la lettre adressée au ministre des Transports par le ministre d’Etat près la présidence de la République, sans pour autant réagir. Il y a urgence.
En conclusion, les députés ont maintenu la question orale au gouvernement avec débat, conformément au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Donc, le premier ministre désignera un membre de l’Exécutif pour répondre aux préoccupations des députés dans 48 heures
MEDARD MUYAYA
Kinshasa, 6/10/2007 (LP/MCN, via mediacongo.net)
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